Introduction

 

— Ah ! les voilà.

Le père pose son stylo et se lève. Pour les sirènes il ne prend guère la peine de se déranger mais, dès que les canons de DCA se mettent à retentir, toutes affaires cessantes, il coiffe sa fillette de cinq ans de sa capuche de protection, la prend dans ses bras et pénètre dans l’abri antiaérien. La mère s’y trouve déjà, accroupie dans le fond, leur petit garçon de deux ans sur le dos.

— C’est tout près, on dirait.

— Oui… On est vraiment à l’étroit ici…

— Tu trouves ? fait le père d’un air mécontent. Pourtant cet abri est très bien comme ça. S’il était trop profond, on risquerait d’être enterrés vivants.

— Mais tu ne crois pas qu’on pourrait l’agrandir un peu ?…

— Hmm, c’est vrai… Mais tu sais, à cette époque de l’année, la terre est gelée et dure comme la pierre, alors creuser ici, ça ne serait pas une mince affaire. Je verrai plus tard…

Et, lui ayant imposé le silence par ce genre de réponse évasive, il tend l’oreille aux nouvelles radiodiffusées sur les bombardements. Pourtant, à peine apaisées les doléances maternelles, voici qu’à son tour la fillette, impatiente de sortir de l’abri, se met à réclamer. Pour l’amadouer il ne connaît qu’un moyen : les livres d’images. À voix haute il lui lit des contes comme Momotarô, Le Mont Crépitant, Le Moineau à la langue coupée, Les Deux Bossus ou Monsieur Urashima.

Bien qu’il soit pauvrement vêtu et qu’à sa figure on le prenne pour un idiot, ce père est loin d’être un homme insignifiant. Il possède en effet un art vraiment singulier pour imaginer des histoires.

Il était une fois,

Il y a bien, bien longtemps…

Ainsi, tandis qu’il lui fait la lecture de sa voix étrange et comme stupide, c’est une autre histoire, toute personnelle, qui mûrit au fond de son cœur.